Laboratoire
des
FRONDEURS

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Insurrection au Kirghizistan en 2010
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2004
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Avril 2004 en Iraq
Culture de l'émeute en Algérie
L'Amérique Latine en 2004
Sous-continent indien
Evènements courts et forts (2004)

 

 

 

 

 

Courts et forts

 

 

1. Surprise et profondeur du négatif

Un événement négatif de durée courte et d'intensité forte est un jaillissement, le surgissement d’un mouvement profond qui constitue une menace sérieuse pour l’Etat, les marchandises et l’information dominante. Comme si, alors que rien ne le laissait prédire, buts et cibles étaient tacites, déjà là, partagés et connus de tous, démontrant une unanimité soudaine. En 2004, le laboratoire des frondeurs a construit 19 dossiers d’événements négatifs que nous avons inscrits dans une catégorie « durée courte, intensité forte ». Parmi ces 19 événements, certains participent de mouvements de révolte plus amples géographiquement et temporellement et sont relatés dans d’autres parties de l’analyse de 2004 : c’est le cas notamment en Algérie, Irak, Pakistan, Bangladesh, Népal, Nigeria, Pérou et Venezuela. Mais 9 événements négatifs courts et forts font l’objet de ce chapitre, très différents les uns des autres dans leurs prétextes, leurs durées, leurs formes et leurs localisations. Trois en hiver, trois au printemps et trois en automne, trois en Afrique, un en Europe, deux au Moyen-Orient, un en Asie et deux dans les Caraïbes, les événements négatifs courts et forts analysés ici couvrent l’année 2004 et tous les continents. Parce que c’est la catégorie qu’il m’intéresse d’approfondir et que chaque événement, pris isolément, dure moins de cinq jours, je ne tiendrai pas compte de la chronologie dans leur présentation. Dans la catégorie « court et fort », si la limite de l’événement réside dans sa durée, son intensité en donne la portée. C’est pourquoi, je présenterai les événements courts et forts en insistant sur la singularité de chacun dans un ordre privilégiant l’extension géographique des actes négatifs et l’unanimité de la révolte, du plus fort au plus court.

 

2. Du plus fort au plus court

Le Kosovo en Serbie-Monténégro : du 16 au 18 mars 2004

Au Kosovo, l’information dominante est le vecteur de l’arbitraire occidental. Sans la mise en scène télévisée de l’oppression de la communauté albanaise par des serbes, la guerre du Kosovo et le bombardement de Belgrade par l'OTAN en 1999, justifiés dans un emballage humanitaire, n’auraient peut-être pas eu lieu. Garante de la thèse de l’affrontement interethnique établie depuis, l’information dominante gouverne ce petit territoire aux côtés de plus de 20 000 soldats de l’ONU et de l’OTAN. Mais au cours de ce mois de mars 2004, les albanais du Kosovo fissurent en profondeur la version officielle, enrayant les sillons du disque informatif. Du 16 au 18 mars, le Kosovo s’embrase littéralement dans plus de douze villes.

Le 16 mars, sur la rumeur de la noyade d’enfants albanais attribuée à des serbes en représailles à une fusillade où un jeune serbe a été blessé, les habitants de Caglavica et Granavica, villes voisines de Pristina, mettent le feu aux poudres : premières coupures de route, premiers affrontements avec les soldats et première voiture de l’ONU brûlée. Le lendemain 17 mars, deux émeutes majeures, dans deux villes, balisent la journée. A Kosovska Mitrovica où les quartiers serbes et albanais sont séparés par une rivière, l’Ibar, mais reliés par un pont, un rassemblement d’albanais se dirigeant vers les quartiers serbes se heurte aux soldats de l'ONU sur le pont. Pris en étau, les soldats tirent, déclenchant des affrontements qui durent toute la journée et se soldent par 6 morts et 348 blessés. Un couvre-feu est instauré dans la ville. A Pristina ensuite, capitale de la province du Kosovo située à une quarantaine de kilomètres au sud-est de Kosovska Mitrovica, les gueux s’en prennent activement à l’ONU. 5 000 s’attaquent aux soldats, caillassent et pillent leur quartier général et incendient leurs voitures. Les soldats tirent à balles réelles : 7 morts. L’aéroport de Pristina est fermé. Seul un couvre-feu et le déploiement d’autres unités militaires calment temporairement la révolte. Dans le même temps, avec une résolution que l’on ne trouve qu’exceptionnellement dans les émeutes de 2004, un groupe de 3 000 révoltés quitte Pristina pour Caglavica, afin de soutenir leurs précurseurs. Leur détermination vient à bout de plusieurs barrages militaires et finit par menacer un village principalement habité par les soldats de l’ONU, qui voyant leurs maisons en péril, ne s’enfuient plus et font face. Dix voitures de police, un blindé, un bus de l’ONU et des logements sont incendiés malgré l’utilisation par les soldats des canons à eau, mais semble-t-il mal orientés. Les affrontements durent douze heures, font 3 morts et une dizaine de blessés (tous soldats).

Le 17 mars, le Kosovo s’est transformé en un vaste terrain de jeu pour incendiaires. Dans des villes aussi éloignées les unes des autres que Pec, Urosevac, Gnjilane, Lipljan et Kosovo Polje, les soldats de l’ONU sont attaqués et les flammes illuminent les affrontements. Ce jour-là, des dizaines de maisons, de voitures et d’églises, une école, une clinique, une poste sont brûlées. Le brasier se poursuit le 18 mars, à Prizen, Pristina, Obilic, Lipljan, Urosevac et Srbica où, même bréviaire, des voitures de l’ONU, des maisons, des écoles, des mairies, des églises et des couvents sont allumés. Pour cacher leur inorganisation et leur incapacité à contrer la révolte, les soldats de l’ONU se repositionnent et réamorcent la récupération ethnique avec le concours bienveillant de l’information dominante. Censés prévenir une hypothétique attaque albanaise, ils déplacent de manière autoritaire des populations de villages serbes, à grand renfort de caméras, inversant ainsi curieusement la raison de leur présence au Kosovo. Le serbe catholique devient pour un court instant la victime émissaire à protéger de l’émeutier albanais, musulman et iconoclaste.

Mais le 18 mars lors de l’émeute à Belgrade, capitale de la Serbie-Monténégro, l’information dominante rétablit la bonne version de l’affrontement ethnique. Même si les révoltés attaquent l’ambassade américaine et le siège du gouvernement, s’ils retournent et détruisent des voitures et des bus, s’ils affrontent violemment la police, l’information ne retiendra que l’incendie d’une mosquée corroborant la thèse de la vengeance anti-albanaise. Les manifestations de Nis et Novi-Sad renforceront encore cette version. Le soulèvement du Kosovo s’éteint sous la diffamation, conforme à la bonne pensée occidentale.

L’information dominante aura tâtonné trois jours pour justifier une nouvelle fois la présence de l’ONU comme force d’interposition entre serbes et albanais, alors que c’était l’ONU qui était visée en premier lieu par les émeutiers ; trois jours où des milliers de personnes se sont battues contre les soldats internationaux. 53 000 personnes ont participé à 33 affrontements répertoriés : même l’information dominante ne peut cacher le caractère massif de la révolte.

La région de Hassaké en SYRIE : du 12 au 16 mars 2004

Le 12 mars 2004, le match de football du championnat de Syrie, opposant deux équipes de la province d’Hassaké (Nord-Est de la Syrie essentiellement peuplée de kurdes), Al-Fatwa de Deir ez Zor à Al-Djihad de Qamishli, se limite à son coup d'envoi. Avant même la sortie des joueurs, les supporters entament un joute dont les clameurs retentissent au delà des murs du stade. Les policiers répliquent très rapidement à balles réelles à l’intérieur du stade. Mais les supporters n’ayant pu entrer relaient leurs coreligionnaires de l’intérieur. Leurs cibles se précisent : les bureaux de police, le siège du parti Baas au pouvoir et la mairie sont incendiés, des statues sont détruites. La répression dans et hors du stade se solde par 9 morts dont 6 par balles, et une centaine de blessés.

Le lendemain 13 mars, de nombreuses villes de la région d’Hassaké se soulèvent simultanément. A Qamishli, les funérailles de supporters sont suivies par une foule dense qui scande des slogans contre le gouvernement en guise d’épitaphes. Contre ce cortège, la police tire à balles réelles. Les révoltés étendent leur critique, de l’Etat aux marchandises. Après le saccage de bâtiments publics, d’une école et de voitures, les pillages se généralisent : les douanes, la gare, un entrepôt de blé sont préalablement pillés avant d’être incendiés. L’Etat réagit plus fort que la veille en convoquant l'armée. Des tanks sont déployés dans la ville. Le couvre-feu est déclaré à Qamishli. Les affrontements de la journée ont fait 5 morts par balles, 24 blessés et une centaine d’arrestations.

La rapidité de réaction de l’Etat est à la mesure de la vitesse avec laquelle la révolte, forte, offensive, s’étend dans la région, suivant de près les cortèges funèbres de supporters tués à Qamishli. Le 13 mars à Amouda, les funérailles entraînent de violents affrontements. Le couvre-feu est décrété, il y aurait officieusement 2 morts. Les révoltés d’Amouda font à nouveau parler d’eux le 15, en attaquant le commissariat dont les résidents ripostent : 6 morts (dont cinq policiers) et 10 blessés. A Hassaké des affrontements démarrent également le 13 mars et se prolongent le 14 malgré le couvre-feu. Des milliers de personnes manifestent désormais ouvertement contre le gouvernement et affrontent la police. Des magasins et des bâtiments publics sont saccagés. Des voitures et des bus sont incendiés pour servir de barricades. Une mosquée et un poste de police sont également brûlés. Le couvre-feu est imposé mais le lendemain, après des manifestations, les affrontements se poursuivent contre les soldats qui tirent et font 2 morts et 12 blessés. Des manifestations contre le gouvernement s’étendent le 13 mars à Malkiya, Dereek et Ras-Al-Aïn. Des bâtiments publics sont attaqués ; il y aurait eu 3 morts par balles et des dizaines de blessés. Enfin, alors que le couvre-feu est imposé le 15, les affrontements reprennent le 15 et le 16 à Ras-Al-Aïn. Le nombre de morts est élevé, 5 le lundi et officieusement 2, le mardi 16 mars.

La localisation dans la province d’Hassaké, des villes concernées par la révolte, la plupart étant situées sur les frontières turque et irakienne, est sans nul doute l’une des clés pour comprendre la rapidité et l'ampleur de la répression de l’Etat syrien. La forte présence de kurdes dans la région, qui sont pour beaucoup d’entre eux déchus de la nationalité syrienne, est un autre élément de compréhension de l’accord immédiat existant entre les émeutiers contre l’Etat. En effet, plus que la supposée appartenance kurde des gueux, la force de l’événement réside dans la détermination avec laquelle ils ont attaqué l’Etat. Dans plusieurs villes sur un temps très court, la journée du 13 mars, l’administration locale est la principale cible de très nombreux émeutiers. L'appartenance kurde semble bien secondaire face à l'enthousiasme et la volonté déployés par les gueux pour attaquer l'Etat et ce dernier ne s’y est pas trompé.

Les couvre-feu et les chars étant insuffisants pour contrer la révolte qui s’étend et diversifie ses cibles, le gouvernement syrien en fin tacticien, endosse le costume usé que lui tend l’information dominante. La scène avec en premier rôle l’Etat oppresseur des kurdes débute alors, déviant les regards de la région d’Hassaké. La récupération kurde de la révolte est officiellement en route depuis le bouclage le 13 mars du quartier kurde de Dummar, à Dammas la capitale. Une manifestation y est réprimée, des voitures sont saccagés et le couvre-feu imposé au quartier. Il s’accompagne de 300 arrestations, chiffre démesuré par rapport à la faible intensité des affrontements. Niant le soulèvement de Qamishli et de sa région, et par conséquent la répression armée des gueux par l’Etat, l’information occidentale, dans un hoquet droit-de-l’hommiste, s’empare de ces arrestations. Le 16 mars, des manifestations commémorant le massacre de cinq mille kurdes par l’Irak en 1988 closent temporairement le débat ouvert à Qamishli en l’enfermant dans l’impasse de la militance kurde. A Alep et Ifrin, à l’ouest du pays, loin de Qamishli, les manifestants se battent à coup de pierres, de bâtons et de couteaux contre la police qui tire faisant 8 à 15 morts dont 3 policiers. Mais plus que contre l’Etat syrien, ils se battent pour la cause kurde ; le débat désormais aussi policé que le pays, la région d’Hassaké disparaît de la scène de l’information dominante.

La République Démocratique du Congo : du 2 au 4 juin 2004

En 2003 la guerre du Rwanda allié à l’Ouganda contre la République Démocratique du Congo se termine par la signature d’un accord de paix sous l’égide de l’ONU, censée depuis, jouer un rôle d’interposition. Depuis 1998 le conflit entre ces Etats voisins s’est progressivement délité laissant la place à des affrontements entre des milices particulièrement dans la région du Kivu frontalière entre les trois pays. En République Démocratique du Congo, certaines factions rebelles ont été intégrées dans l’armée nationale, mais y restent autonomes. Les agissements de ces milices sont un élément déclencheur de l’émeute de Kinshasa, le 2 juin 2004.

Le 26 mai la ville de Bukavu dans le sud Kivu est prise après des combats d’une semaine contre les soldats loyalistes par une fraction insurgée de l’armée congolaise se réclamant du RCD-Goma, milice soutenue par le Rwanda. La MONUC n’intervient et 65 civils sont tués au cours des affrontements armés. A l’annonce de la prise de Bukavu le 2 juin, 600 personnes se rassemblent à 1 500 kilomètres de là, dans la capitale Kinshasa. La MONUC, jugée coupable de partialité en faveur de rebelles soutenus par un pays extérieur, est la cible principale de leur colère. Les voitures de la MONUC stationnées près de ses bureaux sont saccagées et incendiées, ainsi que le siège du parti du Rassemblement Congolais pour la Démocratie apparenté au RCD-Goma. Plusieurs vitrines de magasins sont brisées et les marchandises pillées. Les affrontements durent toute la nuit. Le matin du 3 juin 2004, ce ne sont pas 600 mais 30 000 personnes qui manifestent dans les rues. Les blindés sont déployés pour protéger le siège de l’ONU. Les magasins et les maisons proches du quartier général de la MONUC sont pillés. Plusieurs bâtiments sont incendiés, dont un commissariat de police et des sièges de partis politiques. Un ministre candide se fait rosser en pleine harangue. Les barricades, nombreuses, bloquent le centre ville ainsi que plusieurs quartiers périphériques. La MONUC habituellement planquée derrière une neutralité malodorante comme à Bukavu mais retrouve à Kinshasa son rôle de police des Etats défaillants : ses soldats tirent cette fois à balles réelles sur les gueux qui demandent unanimement son départ. Le 4 juin, dernier jour de l’émeute, plusieurs maisons sont pillées et un poste de police vidé de ses armes. Un fonctionnaire de l’ONU est lapidé dans la rue. Le bilan officiel est de 14 morts à Kinshasa, mais atteint 30 morts selon d’autres sources.

Le soulèvement de Kinshasa contre la MONUC s’étend à 4 autres villes. Dès le 2 juin, à Bukavu, et semble-t-il, après le retrait des insurgés, un dépôt d’armes et de munition de la MONUC, ainsi que trois cents tonnes d’aides alimentaires sont pillés. Les soldats de la MONUC tirent et tuent 4 pilleurs dans la nuit de mercredi 2 à jeudi 3 juin. Les pillages s’étendent et durent toute la journée du 3. A Lubumbashi, le personnel de la MONUC est évacué après des échauffourées. A Kisangani, le 2 et le 3 juin, les voitures de la MONUC sont caillassées et incendiées. Les bureaux et les maisons de personnels de la MONUC sont attaqués et pillés. Plusieurs sièges d’ONG, acolytes gestionnaires de l’ONU, sont également pillés. A Kalémie le 3 juin,  un millier d’enfants contraignent, sous une pluie de cailloux, les soldats de la MONUC à rester cantonnés dans leur quartier général.

En République Démocratique du Congo, l’information dominante, perdue dans le dédale des factions rivales et de longues périodes de guerres aux partis mouvants, suit pas à pas la MONUC et se limite à s’en faire l’écho. En ce début de mois de juin 2004, plus que la faction du RCD-Goma responsable de l’attaque initiale de Bukavu, l’ONU est la cible la mieux partagée des émeutiers de Kinshasa, Bukavu, Lubumbashi, Kisangani et Kalémie. Masquant un Etat en sursis, l’activité de l’ONU en République Démocratique du Congo, contribue à son corps défendant, à améliorer la visibilité du négatif dans le monde. Ce n’est que le 11 juin, qu’une tentative avortée de coup d’Etat par d’anciens membres de la garde rapprochée de Mobutu permet à l’ONU par voie d’informateurs de ranimer de vieux fantômes et de détourner l’attention d’une révolte radicale et conséquente à son égard.

La Côte-d’Ivoire : du 6 au 10 novembre 2004

Les émeutes ivoiriennes du mois de novembre 2004 s’étendent sur 5 jours et se propagent à au moins 5 villes, dont la capitale Yamoussoukro et Abidjan. Depuis septembre 2002, le Côte d’Ivoire est partagée en deux : le sud sous contrôle du gouvernement et de l’armée officielle et le nord sous contrôle d’une fraction rebelle de l’armée soutenue par la population. L’armée française positionnée sur la ligne de front maintient la partition du pays. La division du pays se fait sur fond de forte contestation au président Laurent Gbagbo, y compris au sud, comme en ont témoigné les manifestations du 25 mars 2004 à Abidjan, durement réprimées par l’armée ivoirienne qui tire dans la foule, tuant 37 personnes. Depuis ces manifestations, l’opposition est sortie du gouvernement et le président se reconstruit une légitimité sur la base de deux arguments : un discours public anti-rebelles marqué par des manifestations de militants soutenant le président et de multiples saccages de lieux liés aux partis d’opposition, doublé d’un discours moins officiel anti-français, ces derniers étant accusés de soutenir les rebelles. Les manifestations alternativement contre l’opposition ou contre les intérêts français se sont multipliées au cours de l’été et de l’automne 2004, toujours plus déterminées et radicales.

Deux faits, très différents, trahissent la forte tension de ce début du mois de novembre. A la fin du mois d'octobre, les rebelles ayant lancé une offensive sur Abidjan, voient leurs convois arrêtés par l’armée française sur la ligne de partition. Cependant l’Etat ivoirien riposte le 4 novembre 2004, en attaquant à quatre reprises les villes de Bouaké et Korhogo. Ce même jour à Abidjan, sur un scénario désormais classique, l’attaque des deux villes du nord légitime le saccage, par des groupes organisés, des sièges des partis et de journaux d’opposition ainsi que du hall d’un hôtel où descendent des responsables d’opposition. Bien relayés par les médias ivoiriens, ces faits renforcent l’impression de partialité de l’armée française. Dans le même temps, une mutinerie est en cours dans la prison centrale de Yopougon, toujours à Abidjan, qui a déjà entraîné la mort de 7 à 8 prisonniers et permis l’évasion de plusieurs autres. Le gouvernement ne parvient pas à mater la mutinerie dont les détails sont, par contre, peu visibles dans les médias.

Le 6 novembre à Yamoussoukro, suite au bombardement d'un convoi militaire ayant provoqué la mort de neuf soldats français, l’armée française détruit en représailles une partie de l’aviation ivoirienne, ce qui provoque un fort émoi. A Abidjan, la nouvelle de la destruction de la flotte ivoirienne par l’armée française se répand très rapidement par voies télévisée et radiophonique. Le 6 et le 7 novembre, des dizaines de milliers de personnes sortent dans les rues, au gré de la circulation des rumeurs. Dans le centre ville, 4 écoles et le lycée français sont ravagés, préludes aux pillages qui s’étendent très vite à de nombreuses maisons dans les quartiers résidentiels et à de multiples magasins dans le centre. Les gueux se rassemblent partout où se trouve l’armée française et s’attaquent aux soldats. Sur les deux ponts au-dessus de la lagune des milliers de personnes, formant une masse compacte, bloquent la circulation et se battent avec les soldats. Les affrontements avec les soldats français qui tirent à balles réelles sont nombreux, particulièrement autour de l’aéroport. Ces mêmes jours, les 4 000 prisonniers de Yopougon mutinés deux jours plus tôt réussissent enfin leur évasion.

Dans la nuit du 8 novembre, le déplacement d’un convoi de blindés français dans les quartiers résidentiels d’Abidjan fait craindre une tentative de coup d’Etat par les soldats français et provoque la sortie de milliers d’abidjanais dans les rues. Les manifestants rassemblés en grand nombre bloquent le convoi militaire au petit matin du 9, autour de l’hôtel Ivoire – qui on l’apprendra plus tard héberge tout à la fois des services secrets israéliens, des soldats français, des ex-ministres de l’opposition. Le face à face s’éternise, la tension est extrême entre les gueux rassemblés et les soldats qui tirent, faisant au moins 10 morts. Le convoi militaire se dégage après plusieurs heures d’affrontements ; le hall de l’hôtel et une voiture de l’ONU sont saccagés. Les affrontements se poursuivent de manière sporadique dans la journée du 10 novembre, notamment dans les quartiers de Cocody et près du siège de la radio dans la zone du plateau. Le 11 novembre, les barrages militaires sont levés, signifiant la fin du soulèvement à Abidjan. Le bilan des quatre jours d’émeute est de 65 morts et plus de 1 400 blessés.

Ces mêmes jours, la révolte s’est étendue à d’autres villes du nord de la Côte d’Ivoire. Le 6 novembre à Douéké, des affrontements alors que des émeutiers tentent de bloquer un convoi de blindés français, provoquent la mort de 9 personnes. Les pillages se propagent à Yamoussoukro, Dabou et San-Pedro, souvent précédés par des barricades. Le 8 novembre à Gagnoa, le pillage de magasins se prolonge dans des affrontements qui laissent officieusement 10 morts et une quarantaine de blessés. Un couvre-feu est décrété dans la ville le 9.

Le caractère massif de la révolte, la compacité des gueux en très grand nombre dans les rues, singularisent la révolte d’Abidjan. L’information dominante est scindée en deux camps : français dont l’information internationale est une déclinaison, et ivoirien, porté par le gouvernement et les journaux nationaux. La mise en scène de l’attaque des intérêts français permet à l’information française de masquer temporairement la répression des émeutiers par l’armée française et de maintenir un discours d’impartialité et de neutralité, putride apparat conforme à son non moins putride mandat onusien. Manipulant des arguments anti-colonialistes plaqués sur la révolte, le président ivoirien, soutenu par l’information ivoirienne, se repositionne comme le véritable président de toute la Côte d’Ivoire. La nature anti-française de la révolte lui permet de se forger une nouvelle légitimité et paradoxalement de refonder sa place d’interlocuteur dans les relations avec la France. Ciblant principalement les militaires français, le soulèvement de la population d’Abidjan se trouve pris entre les deux voix d’une même diffamation, oubliant que derrière l’armée française se cache la faiblesse d’un Etat qu’il contribue à relégitimer.

La République Dominicaine : 28 et 29 janvier 2004

Il est difficile de parler des émeutes qui se sont déroulées dans au moins 6 villes de la République Dominicaine du 28 et 29 janvier 2004. D’une part nous avons peu de détails sur les faits eux-mêmes, l’information tout comme le président Hipólito Mejía Domínguez, se défaussant derrière les prétendues négociations du moment entre l’Etat dominicain et le Fond Monétaire International. D’autre part, le 28 janvier la coordination des organisations populaires, les partis d’opposition et les syndicats, en bons épuiseurs des énergies négatives, ont décrété la grève générale annuelle de 48 heures. Malgré un fort encadrement syndical et politique, les manifestations sont massives. Les rassemblements persistent et se prolongent par des affrontements avec la police qui débordent toute récupération.

La police, fortement armée, patrouille depuis l’appel à la grève dans les villes principales où les commerces sont fermés et les transports quasi-inexistants. Dans plusieurs quartiers de Saint-Domingue, les affrontements précédant et poursuivant les manifestations s’étalent sur deux jours et une nuit, le 28 et 29 janvier. Des barricades sont montées et entravent le déplacement de milliers de policiers et de soldats soutenus par des hélicoptères. La police tire à balles réelles. Hors de la capitale, les manifestants se battent aussi : à Nagua, San-Pedro-de-Macoris et Santiago-de-los-Caballeros le 28 janvier, à Bonao et San-Francisco-de-Macoris le 29 janvier. Le bilan de ces deux jours d’affrontements est de 8 morts dont 3 à Saint-Domingue, d’au moins 70 blessés et d’environ 300 arrestations dans les six villes.

L’ubiquité de la révolte en République Dominicaine est portée par l’unité du prétexte déclencheur, la grève générale, plus qu’à sa réelle diffusion d’une ville à l’autre. Cependant au vu de la dureté de la répression et de l’empressement mis par les syndicats et l’information à récupérer la révolte, l’offensive n’est pas sous-estimée par l’Etat. L’émeute de janvier sera la dernière d’importance en République Dominicaine pour 2004, alors qu’une joyeuse insurrection s’annonce déjà par des manifestations et des affrontements dans les grandes villes d’Haïti, autre moitié de l’île d’Ispañola. L’unanimité et le nombre des émeutiers en République Dominicaine lors des émeutes de janvier laisse entrevoir un mouvement sous terrain qui ressurgit et s’épanouit dès que l’occasion lui en est donnée.

Ambon en Indonésie : le 25 et 26 avril

Le 25 avril à Ambon, des chrétiens indépendantistes commémorent en organisant un cortège de voitures, le 54ème anniversaire de la proclamation de la République des Moluques du Sud, mettant à l’épreuve un « processus de réconciliation » entre musulmans et chrétiens engagé depuis 2002. La manifestation des chrétiens indépendantistes est assaillie par des musulmans, ce qui déclenche les premières attaques en représailles. La police rapidement dépassée tire à balles réelles. Les affrontements se diffusent à toute vitesse dans plusieurs quartiers de la ville particulièrement dans les quartiers où cohabitent chrétiens et musulmans. Le nombre de maisons incendiées de part et d’autre atteint 200. Les incendies se généralisent rapidement : une église, une université musulmane, un hôtel et le siège de l’ONU. L’armée est déployée. Les affrontements durent deux jours, le 25 et le 26 avril. La répression est à la hauteur de la peur provoquée par la révolte : plus d’un millier de policiers sont mobilisés, secondés par trois bataillons militaires. Une ligne de démarcation des quartiers musulmans et chrétiens est créée par l’armée qui impose, sans l’obtenir, un couvre-feu. Le bilan des deux premiers jours est très meurtrier : 23 morts et 140 blessés. Le 27 avril, les affrontements se poursuivent mais sont plus localisés. 850 militaires et plusieurs milices paramilitaires sont appelés en renfort pour venir à bout des gueux qui continuent de se battre dans le quartier de Batugandung-Waringin. Ce jour-là, le nombre de morts s’élève encore, avec un bilan annoncé à 37 morts, dont 2 policiers, classant cet événement parmi les plus meurtriers de l’année 2004.

Contrairement aux événements décrits précédemment, l’émeute d’Ambon ne s’étend pas à d’autres villes. C’est une ville entière, capitale de la province des Moluques, qui se soulève. Sur une journée, les affrontements gagnent quasiment tous les quartiers ; les habitants sortent en nombre dans les rues et très vite la confrontation entre les deux parties s’efface derrière le combat contre la police et l’armée, remparts de l’information et de l’Etat. La dimension religieuse du conflit, doublée de revendications nationalistes est partie intégrante de cette émeute. Phénomène à double tranchant, elle offre à l’information dominante la possibilité d’une interprétation rapide. Mais comme ils s’avèrent contraires au très officiel « processus de réconciliation », les clivages religieux sont rapidement éclipsés. L’information dominante opte pour le silence et seconde la répression menée par l’Etat. Dès le 27 avril, les Moluques disparaissent de l’information dominante.

Monrovia au Libéria du 28 au 31 octobre 2004

Avec 5 émeutes en 2004 Monrovia est une des capitales les plus émeutières de l’année. Pourtant, à la fin du mois d’octobre, l’ONU – qui se prononce MINUL dans sa traduction locale – se félicite de la réussite de son programme de désarmement de la population (qui prend officiellement fin le 31 octobre) et du calme relatif dans le pays depuis 2003, année de l’exil au Nigeria du président-chef de guerre Charles Taylor. L’émeute se distingue de la guerre en ce sens qu’elle ne peut se prévoir, s’organiser et se résumer à des partis qui s’affrontent. Elle s’oppose à l’Etat, aux marchandises et parfois à l’information, et se manifeste par un rassemblement soudain d’anonymes qui sur une courte période, s’unissent, s’accordent et s’attaquent aux rationalités gestionnaires. La guerre au Liberia se termine ; le négatif, à nouveau visible, réapparaît incompréhensible et scandaleux pour l’information occidentale. Cette dernière très présente au Liberia trouve inacceptable que ceux qu’elle considère comme des survivants, s’émeuvent, en misant à nouveau leur vie contre l’ordre qu’elle défend.

Le 28 octobre au matin dans le quartier de Paynesville au nord de la lagune, une dispute éclate entre d’ex-combattants musulmans venus, semble-t-il, récupérer leurs maisons occupées depuis la guerre par des habitants chrétiens. Une mosquée et une voiture sont incendiées, ce qui déclenche en représailles l’incendie de trois églises. Très rapidement les soldats de la MINUL sont envoyés sur les lieux et tirent des lacrymogènes pour disperser les émeutier en colère, armés de machettes, de bâtons et de cailloux. Les pillages s’étendent très vite. Des ateliers, des écoles, des maisons, des voitures passent aux tamis des pilleurs qui délaissent leurs partis-pris ethniques ou religieux. Destructions et affrontements durent toute la nuit dans Paynesville.

Les quartiers de Monrovia se soulèvent les uns après les autres, dans le sens trigonométrique autour de la lagune. Partis du Nord Est de la ville, les émeutiers toujours plus nombreux contournent la lagune de Monrovia par l’ouest avant d’atteindre le centre-ville et le palais présidentiel. Le 29 octobre, malgré un couvre-feu décrété à partir de onze heures, plusieurs quartiers – Duala, New Krutown, Logan Town, jusqu’au centre – sont encore soulevés. Barricades, incendies d’écoles, de véhicules, de maisons (dont celles de deux ministres), de stations service, pillages de magasins, attaques de mosquées : la ville entière est en émoi. Les blindés sortent et tirent, tuant 14 personnes et en blessent au moins 17. 168 personnes sont arrêtées. Les émeutes essaiment à Kakata, Buchanan et Ganta – banlieues de Monrovia – où ont lieu des affrontements et des fusillades et où des mosquées sont détruites. Le 31 octobre suite à la fouille de maisons par les militaires, les affrontements reprennent et quelques maisons sont pillées ; les fusillades ajoutent 2 morts au bilan. Mais l’imposition stricte du couvre-feu et le déploiement massif des chars marquent la fin de la révolte.

Le soulèvement de Monrovia se termine aussi brutalement qu’il est apparu. La critique de l’Etat et des marchandises par les émeutiers a pu être rapidement niée par l’information dominante et renversée pour servir de justification supplémentaire à la politique de désarmement menée par l’ONU. Bien que très intense et unanime, l’émeute de Monrovia n’en est pas moins représentative de la principale limite de la catégorie « court et fort » : le débat s’ouvre largement laissant supposer une profondeur du négatif, mais ne se prolonge sur aucune parole publique et ne permet pas un dépassement de la critique immédiate.

Saint-Georges à Grenade : du 8 au 10 septembre 2004

Après le passage d’un cyclone, il n’est pas rare que les habitants de Saint Georges, petite capitale de l’île-Etat Grenade, sortent faire leur marché. Le début du mois de septembre de fait pas exception. L’ouragan avait déjà libéré les 150 prisonniers en abattant les murs de la prison. L’ultime phase de la tornade est celle du pillage généralisé des magasins du centre ville de la capitale. Pendant trois jours, du 8 au 10 septembre 2004, on s’équipe, on modernise son matériel : matelas, réfrigérateurs, téléviseurs, riz, sucre… il n’y a plus qu’à se servir, les caddies sont disponibles. Les touristes et étudiants étrangers qui avaient réussi à conserver leurs biens sont agressés. La police est dépassée, les tirs de gaz lacrymogènes ne permettant pas de disperser des émeutiers bien trop occupés. Alors que leurs maisons sont à plat, les grenadins dans leur ensemble font preuve d’un enthousiasme remarquable dans le pillage méthodique des marchandises. Ils secondent l'ouragan dans sa remise en question toute naturelle de l'ordre marchand. Mais leur critique s’arrête avec l’accomplissement de leur équipement électroménager. Nous n’avons pas trace d’affrontements importants. Cependant, un couvre-feu et l’envoi de cent soldats caribéens venus en renfort des îles voisines qui craignent l’extension des pillages, sont nécessaires pour venir à bout des pilleurs.

De Sfax en Tunisie à Tebessa en Algérie le 8 février 2004

Les émeutes de Sfax et Tebessa ont pour déclencheur la tenue de la demi-finale de football de la coupe d’Afrique des nations entre l’Algérie et le Maroc. Le grand nombre, annoncé et vérifié, des supporters algériens provoque une sorte d’état de siège à Sfax : tous les magasins sont fermés, la ville s’est vidée de ses habitants et la police tunisienne lourdement armée est partout présente. Le stade n’est pas grand et de nombreux supporters, refoulés, errent dans une ville déserte autour d’insuffisants écrans géants. Mécontents, les premières bagarres ont lieu avant le match entre les supporters refoulés et les policiers autour du stade. Un deuxième but à la septième minute des prolongations, immédiatement suivi par un troisième, donne la victoire à l’équipe marocaine. Dans le stade, les sièges volent et les supporters affrontent la police qui réplique à coup de matraques et lacrymogènes et tire à balles réelles. L’émeute diffuse à l’extérieur du stade et embrase toute la ville. Des barricades sont érigées, des voitures incendiées, des vitrines saccagées et une banque pillée. En plus de 3 morts officieux, il y a 69 blessés.

Jusque là, l’émeute de Sfax est à la limite de la catégorie « court et fort ». Mais les gueux traversent la frontière avec leur négativité pour bagage. Refoulés de Tunisie, bastonnés par la police tunisienne, les émeutiers poursuivent leur débat pratique contre l’Etat tunisien en attaquant son consulat en Algérie dès leur arrivée à Tebessa. La police algérienne prend le relais de sa collègue tunisienne, mais la rage des révoltés est longue à éteindre : les affrontements se propagent à toute la ville et durent toute la journée. La détermination des émeutiers passe provisoirement la frontière entre les deux Etats.

 

3. Trois constantes des évènements négatifs « courts et forts » en 2004

Chaque évènement négatif « court et fort » est singulier. Sorties de leur contexte, il n’était pas question ici de prétendre à la construction d'une quelconque typologie des émeutes « courtes et fortes ». Néanmoins, un certain nombre de constantes se dégagent.

Le nombre important des émeutiers est indubitablement la première; 53 000 au Kosovo, plusieurs milliers dans les huit autres événements, contrairement aux émeutes « locales » repérées par le laboratoire des frondeurs, le nombre d’émeutiers n’est ici jamais douteux tant il est important. Mais ce nombre ne serait rien sans l’unanimité et l'offensivité des gueux, perceptibles dans les événements décrits. A Monrovia, Tebessa ou encore Ambon, les émeutiers bien que très nombreux sont mobiles, les groupes se faisant et se défaisant au gré des affrontements et des cibles choisis. Et quand le nombre devient masse, comme à Abidjan, c’est la masse elle-même, par son obstination, qui contribue à l’offensive.

L’extension géographique est la deuxième constante. L’émeute dans un événement négatif « court et fort » ne reste pas attachée à un lieu. A Monrovia, à Abidjan, à Sfax et Tebessa, à Ambon ou encore à Grenade, l’émeute se diffuse d’une ville ou d’un quartier à l'autre, comme de l’encre sur un buvard, les premiers émeutiers attirant les seconds. Au Kosovo ou dans la région d’Hassaké, l’émeute se propage en cascade de ville en ville, la première émeute devenant le prétexte de la seconde. Sous le prétexte de la grève en République Dominicaine ou sous le coup d'une émotion collective en République Démocratique du Congo, l’émeute se déclenche en plusieurs endroits au même moment. Le caractère ubiquitaire de la révolte s'appuie alors sur la généralité du prétexte ; prétexte qui s’il n’est pas la cause – bien plus profonde – de la révolte, n’en reste pas moins l’élément déclencheur.

Troisième constante, la durée est la principale limite d’un événement négatif « court et fort ». L’intensité de la révolte et l’unanimité des émeutiers traduit une critique en puissance plus vaste que ce qu’elle laisse transparaître. Mais l’absence de discours public des émeutiers, autre qu’un discours pratique, cantonne l’émeute à un phénomène de l'aliénation dont la manifestation privée de parole est niée par l’information dominante qui la résume à un motif religieux, ethnique ou syndical par exemple. L’émeute dans un événement « court et fort » déborde toujours, mais jamais durablement, la police et l’information dominante qui a tout son temps. Les interprétations, les diffamations et finalement les récupérations de la révolte ne sont pas démenties sur la durée par une critique qui a perdu son seul terrain d’expression et finissent par s’installer. Pourtant c'est également l'absence de discours qui limite l'information dominante dans ses interprétations en ne lui offrant pas de prises spécifiques.

Le laboratoire des frondeurs permettra peut-être de mesurer l’impact dans le temps d’un événement négatif « court et fort ». Queues de comète d’événements passés, annonciateurs de révoltes à venir… 2004 est un pas de temps trop court pour situer ces émeutes dans l’histoire. Elles sont des expressions du négatif dont nous ne pouvons trancher le sens, soit que leur régularité tienne du mouvement de balancier ou plus probablement de celui de la spirale. Je sais, 2005 ayant finalement succédé à 2004, que les événements courts et forts laissent des traces dans la mémoire de leurs ennemis. D’abord fortement réprimés et occultés, le moindre affrontement sur les lieux de l'émeute passée les fait ressurgir. Car leur diffamation et leur récupération semblent bien fragiles, au point qu’il faille les réactiver aux dates anniversaire, comme un avertissement donné aux émeutiers potentiels. Ils sont donc, pour les plus forts d’entre eux – Serbie, Syrie, République Démocratique du Congo – commémorés par leurs ennemis plus que par les émeutiers eux-mêmes. Le rappel de ces événements dans l'information est le moment où se construisent a posteriori un sens et des catégories d’analyse qui valent comme mesures préventives destinées à contrer les émeutes futures. Ces quelques indices montrent la puissance des événements « courts et forts » qui, si on tente de les relier constituent en 2004 les principaux signaux du mouvement du négatif.

(Septembre 2005)

 

Liste exhaustive des événements négatifs de 2004

Etat Lieu Date Code Journées d'émeute locale Journées d'émeute majeure Journées autres Zone
Algérie Ouargla 04 02 22 04 ALG 4 5     IS
Bangladesh Dhaka 04 08 21 04 BAN 4 6 1   IS
Chine Nanren 04 10 28 04 CHI 4 5     EO
Côte d'Ivoire Abidjan 04 11 04 04 CDI 4 5 1   AF
Grenade Saint-Georges 04 09 08 04 GRN 1 3     AL
Indonésie Ambon 04 04 25 04 IDO 2 2 1   IS
Iraq Najaf 04 04 04 04 IRQ 4 12 5   IS
Liberia Monrovia 04 10 28 04 LIR 7 2 2   AF
Népal Katmandou 04 08 31 04 NEP 3 1 1   EO
Nigeria Kano 04 05 11 04 NIG 6 2 1   AF
Pakistan Quetta 04 03 02 04 PAK 1   1   IS
Pérou Ilave 04 04 15 04 PER 1 1 1 3 AL
Pérou Ayacucho 04 07 01 04 PER 3 1     AL
Pérou San Gaban 04 10 19 04 PER 6 1     AL
R.D.  du Congo Kinshasa 04 06 02 04 RDC 1 2 1   AF
Tunisie/Algérie Sfax 04 02 08 04 TUN 1 2 IS
Serbie et
Monténégro
Kosovska Mitrovica 04 03 17 04 SEM 1 4 2   O2
Syrie Qamishli 04 03 12 04 SYR 1 8 1   IS